Dans ce petit coin de la maison Terre qu’est la Guyane, le bateau a été hébergé d’abord à Stouppan pendant presque deux ans puis au port de Dégrad des Cannes ensuite. C’est là qu’à l’époque des grandes fermes coloniales on venait décharger la canne à sucre, d’où le nom.
Le mouillage du fleuve a été mon préféré. Au cœur de la forêt, la beauté, la tranquillité du lieu étaient un régal sans cesse renouvelé. Le spectacle était quotidien, à trois ou quatre kilomètres le village de Roura était un but de promenade superbe. Ce village à l’intérieur d’une boucle du fleuve, qu’il surplombait, était une mine de prises de vues extraordinaire.
En contrepartie il y avait l’inversion des marées, l’humidité, les coups de vent sous les grains
parfois violents, l’éloignement de la ville, sans oublier les accès à la rive en basses eaux, c’était chaque fois un problème.
Mais quels souvenirs : l’ancien abris du bac ou on a passé de longs moments à attendre que l’eau remonte avant d’embarquer dans l’annexe pour rejoindre le bateau, le cocotier qu’on a planté en remplacement de celui qu’on avait cassé en tirant un bateau, la fontaine ou on venait faire l’eau, le camps du GSMA ou on avait passé de bonnes soirées. Tous les prétextes étaient bons pour se retrouver au « Carbet », y faire la fête. C’était anniversaires, départs, arrivées, jour de l’an, 14 juillet etc.…Merveilleuse escale pour beaucoup d’entre nous.
Dégrad des Cannes ne possédait pas la même magie mais j’en garde aussi de très bons souvenirs. Beaucoup d’amitié, bien sur il y avait quand même quelques grincheux…
Oubliée la tranquillité. C’était la confrontation quasi permanente avec l’autorité du port pour s’opposer aux règles arbitraires et aux excès en tout genre. Le prix du port et le statut des usagers en dépendaient. On y a souvent invité la télé et la radio pour amplifier notre voix.
La TV nationale y était passée aussi pour couvrir le « Rallye du soleil » mais ils n’avaient pas voulu relayer notre mécontentement. Le courage est une denrée extrêmement rare sur notre planète !
Un maux récurant dans ces contrées ultramarines est l’absence quasi totale de contre pouvoir, donc de libre expression. L’accès à tout est verrouillé et les clefs détenues par quelques hauts personnages qui font la pluie et le beau temps. Ici il y a les Féaux et les Vassaux.
Pouvoir et argent. Malheur à qui dénonce ou conteste. Les portes du paradis lui sont à jamais fermées. Les règles nationales sont étouffées, et tout est question de pouvoir. Un monde féodal je vous dis.
Bref l’ambiance était quelquefois très chaude .Si on ne s’intéresse pas à la politique pour en dénoncer les abus,si on ne cherche pas la justification des manques et des misères,si on n’a pas trop d’ambition,alors tout va bien. Rajoutez-y un poil de flatterie et d’hypocrisie et vous y nagerez comme un poisson dans l’eau !
C’est le mauvais coté, heureusement on n’est pas venu là pour ça, et le pays nous dédommage bien de ces petits désagréments. Il faut savoir s’accommoder ici des moustiques et des truands en chemise- cravate !
Le port de plaisance de Dégrad des Cannes est un petit village sur l’eau et c’est souvent pour beaucoup de bateaux la porte de l’Amérique : un peu au sud, le Brésil et au nord tout le reste plus l’eau bleue.
Les bateaux vont et viennent. On espère se revoir un jour. On se laisse les adresses et les e-mails, qui ne serviront pas bien longtemps. Mais les visages et le nom des bateaux resteront gravés, prêts à surgir au hasard d’un mouillage, pour notre plus grande joie.
De ces lieux on gardera aussi le souvenir de l’énorme manguier sous lequel on est passé et repassé tant de fois. Je crois que c’était un arbre fétiche.
Plus de deux ans de vie là aussi, ça donne pleins d’images dans la tête.
Ce port qui n’était pas terminé quand on s’est installé, nous y avons laissé, chacun une part de nous même.
Le repas d’adieu de JENNIFER D’ORION à la Guyane, aux amis et aux compagnons de travail a été pour moi un moment rare et très riche en émotions. Il fallait bien ça pour fermer la dernière page de ce bel album qu’on gardera précieusement en nous.
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