Si je me souviens bien c’était à la veille d’un nouvel an. Le ciel était couvert, gris, mais pas menaçant. De toute façon pas de quoi exciter les foules. Il y avait déjà un bon bout de temps que je croisais en solitaire. J’étais dans le cockpit en train de regarder au hasard, dans mes pensées .Un mouvement attira mon attention : dans le sillage il y avait quelque chose qui suivait.
C’était un poisson. Pas un pélagique comme on a quelquefois l’habitude de voir à la traîne des bateaux, en quête d’un je ne sais quoi qu’ils pourraient récupérer.
Il était de petite taille mais très coloré. Le contraste était saisissant par rapport à la couleur de l’eau. Il avait l’air captivé par le bateau et restait à un ou deux mètres derrière, sa tête quelquefois hors de l’eau comme pour mieux voir. Je l’observais pendant un moment puis je suis retourné m’asseoir, pensant que dans un moment il aurait disparut. Je suis allé me faire un café, puis une cigarette et j’ai oublié mon suiveur.
Au bout d’une heure ou deux, par curiosité je suis retourné derrière pour voir…il était toujours là ! Mon apparition ne l’a pas effrayé, au contraire ses mouvements avaient l’air plus réguliers. Je ne suis pas pêcheur mais là c’était une vraie provocation. Sans conviction cependant, j’ai pris l’épuisette, certain qu’il allait décamper des que celle-ci aurait touché l’eau, mais à ma grande surprise il s’est laissé faire et j’ai pu le récupérer doucement dans mon petit filet.
Je l’ai mis dans un gros globe en verre dont je disposais et je l’ai bien observé.
Je ne suis pas spécialiste en poisson, je ne sais toujours pas ce que c’était mais pour moi c’était secondaire, je le trouvais beau, pour ses couleurs et pour sa grâce.
Je passais un long moment à le regarder .Il semblait à l’aise et très calme. On aurait dis que de l’intérieur il observait l’environnement, s’arrêtais de longs moments, et regardais dans une direction particulière.
Je le laissais et suis reparti à mes occupations de marin.
Chaque fois que je redescendais à l’intérieur je remarquais qu’il me suivait du regard, ce qui ne manquais pas de me paraître étrange.
Je pensais qu’il finirait par s’ennuyer dans ce bocal et qu’il faudrait que je le relâche, mais il avait l’air de s’y trouver bien. Pour son confort des que j’ai pu, je me suis alors procuré un aquarium digne de ce nom. Cela ne fut pas facile d’intégrer ce nouveau mobilier et de le fixer. Il a fallut ensuite y ajouter une pompe avec les filtres, des morceaux de coraux, des algues enfin tout ce que j’estimais nécessaire à une habitation de poisson !
Quand j’eu terminé mon chantier et que je le plaçait dans son nouveau domaine j’ai vraiment assisté à un moment rare et exceptionnel. Il a inventorié chaque centimètre carré de son nouveau territoire reniflant chaque algue, inventoriant chaque trou de corail et finalement au bout d’un temps qui m’a parut très long il a semblé satisfait et, il est venu se coller à la vitre pour faire comme à son habitude : observer l’extérieur.
Il avait l’air particulièrement attiré par des photos que j’avais disposé sur les cloisons .J’en ai alors mis quelques une plus près de lui et ça avait l’air de lui plaire. Il préférait les fleurs dédaignant tout le reste. Je lui ai donc mis des fleurs, en essayant de voir celles qui lui plaisaient le plus.
Puis j’ai continué mes navigations. De temps en temps je venais le voir pour discuter avec lui. Cela peut paraître étrange de discuter avec un poisson, mais n’allez pas croire qu’un poisson n’a pas de cervelle, à part peut-être les poissons rouges, celui la était intelligent, ça se voyait.
Certes il n’était pas très loquasse et j’avais souvent du mal à le comprendre. Mais je voyais bien que quelquefois il avait quelque chose à dire : il s’agitait sur place en faisant plein de bulles puis s’immobilisait comme pour voir si j’avais compris. Au début j’avais du mal a suivre et je restais sans réaction. Alors il s’agitait dans tout les sens comme si ça l’énervait. Puis j’ai joué le jeux et finalement on peut dire qu’on a eu de longues conversations tous les deux.
Un jour j’ai eu l’idée, lors d’un mouillage de le remettre à l’eau. J’étais sur qu’il partirait. Je fus très étonné de voir qu’il restait près du bateau et quand je remontais à bord il attendait à l’échelle que je vienne le rechercher. Alors l’habitude fut prise, et comme un membre d’équipage chaque fois qu’on touchait terre il profitait du mouillage. C’était sa sortie. Il a comme ça fait une bonne partie du monde. Moi qui suis plutôt un goéland ou un albatros, je voyageais en compagnie d’un poisson !
Et comme ça on a fait des milliers de milles. Malgré quelquefois la mauvaise humeur de l’Océan qui faisait tout valdinguer dans son univers il n’avait pas l’air de m’en tenir rigueur.
J’avais fini par bien le connaître. Je voyais quand il était de mauvaise humeur, quand il était fatigué, ou lorsqu’il était content. Je voyais aussi quand il était lassé par une photo, alors je la changeais et je voyais qu’il était de nouveau intéressé. Je vous le dis c’était un poisson intelligent.
Puis vint un jour ou j’eu affaire à un gros méchant. L’énorme masse noire qui s’approchait avait son propre mouvement et se jouait de la direction de l’alysé. C’était vraiment trop grand pour espérer s’esquiver. Il a fallut faire avec. Quand on a été pris dans les griffes de cette tempête tropicale il a fallut toute la résistance du bateau et toute mon énergie pour pouvoir limiter les dégâts et pouvoir s’en sortir sans casse irrémédiable A un moment cependant j’ai entendu un grand fracas et je suis descendu voir : l’aquarium était brisé, de l’eau partout et mon poisson gisait au sol dans un flap flap crève cœur! Je l’ai remis tout de suite dans son premier bocal en espérant que celui la tiendrait le coup et je suis retourné au charbon.
A la fin de ce coup de tabac je me suis dirigé vers une île dont je ne me rappelle plus le nom et j’ai décidé de laisser partir mon compagnon. Il avait l’air en effet trop triste et je sentais qu’il devait retourner dans son monde. J’ai trouvé un beau lagon pour le mouillage et je l’ai déposé dans l’eau. En deux ou trois coups de nageoires il a disparut.
Je me suis alors senti bien seul mais j’étais heureux qu’il soit sur le chemin qu’il avait choisi.
Je pense que comme moi il doit avoir pleins de souvenirs. J’espère qu’il en a beaucoup de bons et que dans sa vie de poisson il aura l’impression d’avoir vécu quelque chose d’exceptionnel. Pour lui et malgré qu’il ne soit plus la pour la voir je lui met cette fleur, comme pour son anniversaire .C’est une des plus belles que j’ai vu et je pense qu’elle lui aurait plu. Je vous l’ai dit c’est un poisson intelligent et sûrement avec une bonne mémoire et peut-être qu’un jour j’entendrai des petits coups sur la coque…qui sait !
Je sens que vous ne croyez pas à cette histoire mais elle est rigoureusement vraie.
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